Le 9 septembre 2019, Laurent Gatier, professeur de service et de commercialisation au lycée hôtelier de Chamailières s’est donné la mort. Quelques jours plus tard, le 21 septembre, nous apprenions le décès de Christine Renon, directrice d’école à Pantin, et le même jour, celui de Frédéric Boulé, professeur de SVT au Lycée International de Valbonne (Académie de Nice). La présomption d’une origine professionnelle pèse lourdement sur cette triste série de décès. Pour Christine Renon c’est plus qu’une présomption puisqu’elle a laissé une lettre testamentaire dans laquelle elle établit de manière limpide la liaison entre sa décision dramatique et son travail. Dans cette lettre, faisant elle-même l’analyse lucide de ses conditions de travail elle dit son épuisement et explique son geste en décrivant minutieusement le réel de son travail. Cette lettre n’est pas sans rappeler celle que Pierre Jacque, professeur d’électronique dans un Lycée marseillais avait écrite avant de mettre fin à ses jours, à la rentrée 2013. A ces suicides dont nous avons connaissance parce qu’ils rencontrent un écho médiatique, il faut rajouter tous ceux que notre institution parvient à passer sous silence. Il est à craindre que la liste ne soit bien plus longue. Dans un rapport paru en janvier 2019 l’association ASD Pro avait publié un état des lieux catastrophique de la profession d’enseignant : 39 suicides pour 100 000 enseignants. L’enquête que cette association a menée ne tient pas compte des autres personnels que comporte l’Education Nationale, ce chiffre est donc très probablement en dessous de la réalité. Néanmoins, on peut dire que la profession d’enseignant, quant au nombre de suicides, arrive en seconde place dans la fonction publique, derrière les gardiens de prison. Triste record. Ces suicides sont la partie émergée de l’iceberg. Notre travail est malade, et il nous rend malade. Aux suicides professionnels de ce début d’année et des précédentes, s’ajoutent les atteintes à la santé, nombreuses, terriblement quotidiennes : burn out, dépressions brutales, écompensations psychiques graves… Qui n’a pas dans son environnement professionnel un ou plusieurs collègues qui ont disparu brutalement de la circulation, contraints par leur médecin traitant de se « reposer », et habilement placés par leur administration en « congés longue maladie », ou en « congés longue durée » c’est-à-dire dans des cases administratives qui masquent le lien travail/santé ? Cette dégradation de la santé des personnels de l’éducation nationale est à mettre en lien avec nos organisations de travail, bouleversées par les réformes incessantes et absurdes qui, sous couvert de motivations pédagogiques plus que douteuses, conduisent irrésistiblement à nous faire perdre la main sur nos métiers, jusqu’à nous empêcher de les faire conformément à notre éthique professionnelle. La surcharge de travail est devenue une banalité, la détérioration des collectifs de travail engendre des climats professionnels favorables au développement de phénomènes de harcèlement, notre travail perd peu à peu de son sens, l’épuisement professionnel s’installe, la précarité professionnelle grandit, jusqu’à produire les drames que nous connaissons aujourd’hui. Si l’on peut douter de l’efficacité pédagogique des réformes Blanquer et des précédentes. On peut être certain, aujourd’hui, de ses impacts néfastes sur la santé des personnels. Ces réformes fragilisent les personnels, elles les rendent malades, et, parfois, elles les conduisent à la mort.
En parallèle de la brutalité avec laquelle le Ministère bouleverse nos organisations de travail, sans le moindre respect pour nos métiers et pour notre dignité de travailleurs, il est à noter qu’il se garde bien d’organiser un service de santé au travail (SST) digne de ce nom : pas assez de médecins de prévention (c’est le nom donné dans la fonction publique aux médecins du travail), pas de moyens pour les postes d’assistant de prévention dans les établissements scolaires. Et bientôt, sur le modèle de ce qui se passe dans le secteur privé, disparition des CHSCT. Notre employeur transgresse au quotidien ses obligations en matière de santé au travail. Ce faisant il engage sa responsabilité civile et pénale. Comme l’a fait avant lui l’ex patron de France Télécom, Didier Lombard (19 suicides entre 2007 et 2010), dont le procès vient de s’achever, et qui encourt un an de prison. Blanquer (combien de suicides professionnels dans l’Education Nationale depuis sa nomination ?), Lombard, même combat ? Nous aurions tort de penser que la situation de grande dégradation professionnelle que nous ressentons est le privilège de l’Education Nationale : toute la fonction publique est touchée, et, au-delà, c’est tout le secteur privé qui est aussi concerné par la question des organisations de travail pathogènes. Le monde du travail devient peu à peu un espace de non droit, dans lequel le premier des droits bafoués est le droit à la santé.
La CGT revendique :
- La requalification immédiate des suicides de nos collègues en accident de travail, et ainsi, la reconnaissance immédiate de l’imputabilité au service de ces suicides ;
- Une enquête du CHSCT-A immédiate sur le suicide de notre collègue Laurent Gatier ;
- La requalification systématique des arrêts maladie en lien avec le travail en accident de travail ;
- La systématisation des enquêtes par les CHSCT compétents lorsqu’il y a eu accident de travail ;
- Une médecine de prévention conforme à la législation ;
- Des moyens octroyés aux établissements afin qu’ils puissent se doter, conformément à la loi, d’assistants de prévention, formés et disposant pleinement des moyens de leur travail ;
- Le retrait de toutes les réformes dont la mise en œuvre n’a pas été précédée par consultation du CHSCT Ministériel : c’est-à-dire retrait de la réforme du Lycée Général et du Lycée Professionnel ;
- L’arrêt immédiat de la réorganisation des GRETA de l’Académie pour ce même motif qu’aucune consultation du CHSCT-A ne l’a précédée ;
- L’application systématique de la loi en matière de présomption de harcèlement (a minima, enquête diligentée immédiatement par l’employeur dès lors qu’il est informé d’une telle situation).