Expression militante
Avec l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires, qui repose sur une conception caricaturale de la laïcité adoptée par le Président Emmanuel Macron, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal opère un retour aux “fondamentaux” établis par ses prédécesseurs, friands de telles polémiques nauséabondes. Cette décision constitue une grave violation des droits fondamentaux des collégiennes et lycéennes de confession musulmane, injustement stigmatisées et discriminées….
QU’EST-CE QU’UNE ABAYA ?
Le terme “abaya” désigne toute variété de robes plus ou moins longues qui ne sont en aucun cas des vêtements spécifiques à une religion, mais de simples articles de mode qui ont tout au plus une connotation culturelle. Les grandes enseignement comme Zara, H&M et Dolce&Gabbana s’en sont du reste emparées de longue date. Pour preuve, lorsque Sonia Backès, la Secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, s’est vu présenter sur BFM TV plusieurs modèles de robes pour savoir s’il s’agissait d’abayas et si elles devaient être acceptées ou interdites dans les établissements scolaires, elle a hésité, bafouillé et botté en touche répondant que “ça dépend du contexte”. Ainsi, de manière quasi-officielle, les critères d’acceptation ou de rejet ne dépendent pas de la typologie du vêtement lui-même mais de la personne qui le porte et de sa religion présumée, qui ne peut être déterminée que selon le faciès et/ou le patronyme. Comble de l’hypocrisie, Gabriel Attal a justifié cette discrimination flagrante par le fait que « vous ne devez pas être capable de distinguer, d’identifier la religion des élèves en les regardant ».
UNE RENTRÉE TRAUMATISANTE
C’est pourtant ce qui s’est passé durant la semaine de rentrée scolaire, avec des centaines voire des milliers de collégiennes et lycéennes qui, seulement parce qu’elles étaient racisées, se sont vues scruter, traquer, stigmatiser et humilier, voire sommées de se dévêtir partiellement ou d’être renvoyées chez elles pour des tenues aussi neutres qu’une tunique, une jupe ou un kimono, jugés trop amples ou trop couvrants, comme si la pudeur soupçonnée était un crime de lèse-laïcité. Cette obsession à vouloir contrôler le corps des femmes n’est pas sans rappeler la période coloniale.
On ne peut que s’indigner face à la criminalisation d’adolescentes via des interrogatoires et exclusions traumatisants, qui se sont produits hors de tout cadre légal, seule une procédure disciplinaire en bonne et due forme pouvant les justifier. Le cabinet de Gabriel Attal a recensé les cas à l’unité près (contrairement aux professeurs manquants dans la moitié des établissements d’enseignement secondaire) et a même communiqué aux journalistes la liste des collèges et lycées concernés, les invitant à y couvrir la rentrée, au mépris de la sérénité et de la sécurité des personnels et élèves, sacrifiés au profit du battage médiatique autour de cette nouvelle chasse aux sorcières. Il s’agit d’un véritable harcèlement institutionnel, commandité par celui-là même qui prétend juger « insupportable qu’un élève aille à l’école la boule au ventre parce qu’il y est harcelé » et faire de cette question une priorité. Un autre exemple éloquent du fameux « en même temps » macroniste.
LAÏCITÉ OU “LAÏCISME” ?
L’interdiction de l’abaya n’a rien à voir avec la laïcité, qui est même bafouée par cette tentative du politique d’étendre unilatéralement le domaine de ce qui serait religieux. Elle relève de ce que le candidat Emmanuel Macron dénonçait lui-même en 2016-2017 sous le nom de « laïcisme », cette « version radicale et extrême de la laïcité qui fait recette sur les peurs contemporaines », et qui cible exclusivement l’Islam, faisant des millions de nos concitoyens musulmans des « ennemis de la République ». En considérant le port de simples tenues vestimentaires comme une atteinte délibérée à la laïcité, une attaque concertée « pour essayer de défier le système républicain », voire même une réminiscence des attaques terroristes de 2015 et de l’assassinat de Samuel Paty, Macron et ses ministres se démasquent, s’appropriant un discours qui était réservé à l’extrême droite la plus haineuse. En soupçonnant des dizaines de milliers d’adolescentes d’être des ennemis de l’intérieur coalisées pour abattre les valeurs républicaines et même des terroristes potentiels face auxquels il faudrait être « intraitable », ils versent dans une schizophrénie d’Etat aussi absurde qu’abjecte dont on ne peut que se dissocier. Cette logique insidieuse de stigmatisation et d’exclusion était déjà à l’œuvre dans la loi de 2004, à laquelle la CGT Educ’action doit se féliciter de s’être opposée, car elle ne ciblait véritablement que le voile islamique, qualifié de « prosélyte » et « ostentatoire » par un grotesque abus de langage annonciateur des dérives actuelles et à venir.
Loin de faire de l’école un « sanctuaire » préservé, ces mesures de basse politique y propagent le racisme, le sexisme et la haine, et en font un véritable champ de bataille. Cette prétendue volonté d’émancipation par la coercition pour imposer aux collégiennes et lycéennes suspectes une « tenue républicaine » arbitrairement définie bafoue l’égalité de traitement des élèves et le droit imprescriptible de certaines d’entre elles à choisir leur style vestimentaire, les poussant au mal-être et à l’échec scolaire. Faudra-t-il attendre un drame pour que cesse cette « honte » ? Pis encore, ces mesures vexatoires peuvent susciter chez toute une génération d’adolescents & adolescentes, âge particulièrement sensible aux injustices, une défiance et un ressentiment légitimes et lourds de conséquences à l’encontre de l’institution et de ses personnels, transformés en auxiliaires zélés d’une sorte de « police des mœurs » doublée d’une « police de la pensée » sommée de traquer des intentions alléguées derrière d’inoffensives étoffes. Le « communautarisme » et le « séparatisme » prétendument honnis et combattus ne peuvent en sortir que renforcés, à l’instar de l’extrême droite, qui est plus proche du pouvoir que jamais grâce à la caution institutionnelle conférée à ses préjugés, sa rhétorique et ses combats fallacieux, adpotés par un prétendu « arc républicain » qui englobe jusqu’au PCF.
LES VRAIES PRIORITÉS
Cette énième polémique, validée par des chambres d’écho médiatiques dociles et irresponsables, et par une partie de la gauche, éclipse commodément des gros titres d’actualité tous les problèmes criants dont souffrent l’instruction publique, ses personnels et usagers, et qui constituent le combat principal de la CGT Educ’action : pénurie d’enseignants & AESH, suppressions de postes, fermetures de classes et coupes budgétaires incessantes, manque d’attractivité de nos professions sous-payées, conditions de travail difficiles, classes surchargées et surchauffées, sous-dotation des établissements et inadéquation des équipements et locaux, déclassement international au niveau des acquis, réformite aigüe, inflation & paupérisation de la population, avec près de deux mille enfants à la rue, etc. Au lieu de s’attaquer à ces problèmes de fond, le gouvernement préfère poursuivre sa fuite en avant autoritaire et sa politique de destruction délibérée des services publics au profit du privé. Il aura du reste beau jeu de présenter le Service National Universel et l’uniforme, symboles de sa vision réactionnaire de l’école actuellement en cours d’expérimentation, comme la panacée à des problèmes qu’il aura créés de toutes pièces, et qui ne tendent qu’à mettre au pas la jeunesse et diviser davantage la société.
La CGT Educ’action rappelle que chaque individu a le droit fondamental de choisir sa tenue vestimentaire sans être soumis à des restrictions discriminatoires. L’interdiction de l’abaya est une intrusion inacceptable dans l’intimité des élèves, et constitue une atteinte à leur liberté et à leur identité personnelle, qui foule aux pieds l’inclusion, le vivre-ensemble et l’acceptation de la différence officiellement prônées. Les chefs d’établissement, enseignants et personnels de vie scolaire doivent rejeter en bloc ces politiques ignobles, et faire remonter aux sections syndicales locales tous les abus commis. Ces dernières doivent apporter tout leur soutien aux victimes de cet acharnement institutionnel qui bafoue la vocation des personnels éducatifs et salit l’image de la France, et leur proposer un accompagnement juridique.
Salah Lamrani