Fuite en avant islamophobe : Halte aux feux !

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La période estivale est notoirement propice aux feux de forêt, menace redoutable pour nos ressources naturelles et pour la biodiversité environnante. Cependant, il existe un danger encore plus insidieux qui se propage dans nos sociétés, minant nos valeurs et notre cohésion : les discours de haine irresponsables. Un rappel de quelques occurrences récentes s’impose.

Foyer occitan

Fin avril, dans des écoles primaires, collèges et lycées des Académies de Toulouse et de Montpellier, une enquête sur « l’absentéisme » durant le mois de Ramadan et la fête de l’Aïd-al-Fitr, touchant particulièrement les zones d’éducation prioritaire, a ciblé exclusivement les élèves musulmans. Commanditée par le ministère de l’intérieur, elle a été relayée auprès des établissements par les services de police et ceux de l’Education Nationale, et a suscité un tollé légitime.

Suite à la dénonciation de ces pratiques stigmatisantes —qui font d’une pratique basique de l’Islam un enjeu sécuritaire—, voire illégales, les statistiques religieuses (même non nominatives) étant strictement encadrées en France, le pouvoir s’est, comme à son habitude, payé de mots : « maladresse », « message mal formulé », « recherches autonomes d’un responsable du renseignement », « étude de l’impact de certaines fêtes religieuses sur le fonctionnement des services publics »… Comme si la maréchaussée avait vocation à mener des enquêtes sociologiques en milieu scolaire ; comme si une religion autre que l’Islam avait jamais été dans la ligne de mire ; comme si des absences ponctuelles, du reste prévues par le Code de l’éducation et légalement inattaquables (pour le moment), pouvaient nuire au fonctionnement des classes les plus surchargées d’Europe —après la Roumanie.

Un article du Figaro « au doigt mouillé », annonçant « un taux d’absentéisme record » le jour de l’Aïd al-Fitr 2023 à cause d’une prétendue « tendance TikTok », serait à l’origine de cette enquête, qui vise peut-être à disposer de données plus chiffrées pour de futures « chasses aux sorcières ». Des données très peu exploitables du reste, car si certains chefs d’établissement et Inspecteurs d’académie ont malheureusement encouragé les personnels à répondre à ces enquêtes tendancieuses, ce qu’on ne peut que déplorer et dénoncer, d’autres les en ont heureusement dissuadés —sans parler du fait qu’il est difficile de présumer du motif d’une absence un vendredi juste avant les vacances scolaires.

La question des motivations d’une telle enquête s’est immédiatement posée. S’agissait-il « seulement » de susciter une nouvelle polémique sans fondement sur le dos de la communauté musulmane ? Ou est-ce que le gouvernement envisage de remettre en cause un droit acquis qui ne présente aucun caractère contentieux, au nom d’une interprétation toujours plus étriquée et dévoyée de la laïcité (qui pourrait demain s’en prendre aux menus sans porc ou sans viande dans les cantines, aux remises d’ordre des demi-pensionnaires durant le mois de Ramadan, etc.) ? Les personnels seront-ils les prochaines cibles de ces enquêtes ? D’ores et déjà, certains agents & AESH se sont vus refuser une autorisation d’absence pour le motif de « fête religieuse », ce qui est inadmissible. Toute velléité de généralisation de ces mesures au prétexte de la « lutte contre le séparatisme » et du « bon fonctionnement du service public d’éducation » doit être combattue farouchement.

Foyer PACA et huile sur le feu ministérielle

Le 15 juin, le maire de Nice et Président délégué du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Christian Estrosi, s’est fendu d’un communiqué alarmiste dénonçant « plusieurs faits extrêmement graves » survenus la veille dans 3 écoles primaires de Nice, qui auraient fait l’objet d’un signalement de l’Inspecteur d’Académie, puis d’une saisine du Préfet des Alpes-Maritimes et de la Première ministre Elisabeth Borne. Le lendemain, le Ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, surenchérissait en parlant de « faits intolérables », de « mobilisation des équipes valeurs de la République dans toutes les écoles concernées pour assurer de manière pérenne le plein respect du principe de laïcité » et de la mise en œuvre des « mesures gouvernementales nécessaires » pour faire respecter ladite laïcité dans les écoles.

Les « faits » en question ? Des enfants scolarisés en CM1 et CM2 auraient « fait la prière musulmane dans la cour de leur établissement » ou organisé « une minute de silence à la mémoire du prophète Mahomet[1] ». Il ne s’agirait du reste que de rumeurs, et l’usage de modalisateurs de doute (« il m’est rapporté », « ou ») et du conditionnel (« Ces situations inacceptables se seraient également déroulées au sein d’établissement du second degré ») le souligne bien. Pis encore, avant même de procéder à la moindre vérification quant à ces faits allégués absolument insignifiants (il ne s’agirait que d’une poignée d’enfants de 9-10 ans jouant dans la cour de récré), Christian Estrosi a assimilé ces « tentatives d’intrusion du religieux au sein des sanctuaires de la République que sont nos écoles » à de « l’obscurantisme religieux qui tente de nous déstabiliser » et aux « familles parties faire le djihad en Syrie », qui commenceraient à revenir en France et à scolariser leurs enfants « dans nos établissements ».

Et sans même attendre les résultats de « l’enquête de l’Inspection générale diligentée pour établir précisément les faits et en tirer les conclusions utiles » (sic), les grands moyens sont préconisés contre « cette dérive » (qui à ce stade n’a donc pas même dépassé le stade de ragot) : « réunion avec l’ensemble des services concernés afin de mettre en place un plan d’action », « renforcement de l’action de l’Etat pour que ces attaques contre la laïcité soient fermement combattues », « campagne de prévention et de lutte contre la radicalisation », « réponse ferme, collective et résolue », mise en place de « formations laïcité et valeurs de la République » qui « feront l’objet d’un module commun réunissant l’ensemble des personnels… » Le communiqué conjoint de Christian Estrosi et Pap Ndiaye se terminait par une conclusion en fanfare digne de ce déferlement de communiqués catastrophistes, de moyens et d’épithètes flétrissantes : « le principe de laïcité n’est pas négociable dans notre République ». Un tel spectacle de paranoïa, d’hystérie et de haine n’est pas surprenant de la part de l’histrion réactionnaire Estrosi, dont la ferveur laïque est par ailleurs bien connue, mais en considérant ce que Pap Ndiaye a été avant de s’engouffrer corps et âme dans le cloaque politicien, on ne peut que ressentir un mélange amer de dégout et de pitié[2].

Une flamme éternelle

Les motivations profondes de telles « sorties » islamophobes sont bien connues, et sont malheureusement devenues une constante dans le discours d’Emmanuel Macron et de ses sinistres, qui, ayant fait l’unanimité contre eux avec la réforme des retraites, ne trouvent d’autre exutoire que l’ignoble stratégie du bouc émissaire, réminiscence des heures les plus sombres de notre histoire. Rappelons que dans un tristement célèbre débat avec Marine Le Pen, Présidente du Rassemblement National, le Sinistre de l’Intérieur Gérald Darmanin l’avait accusée d’être « trop molle » sur l’Islam et de refuser de « nommer l’ennemi » : « Vous dites que l’Islam n’est même pas un problème… Il faut prendre des vitamines, vous n’êtes pas assez dure ! », assénait-il. S’exprimant lors d’une soirée spéciale consacrée à Samuel Paty, il avait également dénoncé le « communautarisme » et les « bas instincts » des « séparatismes » vestimentaire ou alimentaire (resic), flattés à ses yeux par les magasins de vêtements qui proposent des « tenues communautaires » ou par les « rayons halal » des supermarchés, tant de réalités parfaitement inoffensives qu’il a néanmoins jugées choquantes. Il s’agissait clairement de faire le lien entre des pratiques cultuelles et culturelles on ne peut plus consensuelles d’une part, et le terrorisme d’autre part, un procédé ignoble d’amalgame, de stigmatisation et de vampirisation du discours de l’extrême droite qui est assumé de plus en plus ouvertement. Loin d’en siphonner l’électorat, cette banalisation n’a fait que le consolider et le faire croître, tel un vigoureux traitement aux «  vitamines » administré régulièrement aux discours de haine par le pouvoir et ses chambres d’écho médiatiques.

Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas la première fois que de prétendues « cyber-atteintes à la laïcité » sur TikTok ou autres racontars non vérifiés mettraient en émoi les services du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de l’Education Nationale, toujours hyperactifs lorsqu’il s’agit de la religion musulmane : citons notamment les polémiques autour du port de la abaya, et le déploiement du concept orwellien de « vêtement religieux par destination », promu entre autres durant des formations douteuses à la laïcité imposées aux personnels sur tout le territoire, et leur donnant des consignes et même des outils rhétoriques et juridiques pour traquer des intentions alléguées derrière les tenues vestimentaires « suspectes » des élèves présumées musulmanes. Une robe achetée chez H&M pourrait ainsi tomber sous le coup de la « loi sur les signes religieux ostentatoires » (qui ne ciblait véritablement que le voile islamique), et valoir aux collégiennes ou lycéennes ciblées convocation, remontrances voire menaces et exclusion si elles refusent de s’habiller de manière « républicaine » : une « police des mœurs » doublée d’une « police de la pensée » en somme. Et à laquelle vient donc de s’ajouter une « police des jeux d’enfants[3] ». Bientôt le GIGN et le RAID dans les cours de récré ? Le degré de démence est tel que l’éternuement sonore d’un élève basané qui ressemblerait très, très vaguement à un « Allahu Akbar » serait propre à déclencher une telle intervention.

Extinction des feux ou embrasement ?

Alors que la violence et même le terrorisme d’extrême droite ciblant notamment nos concitoyens musulmans prennent une ampleur de plus en plus inquiétante, le gouvernement persiste à attiser la haine par ses agissements pyromanes, exacerbant les véritables dangers qui menacent la paix civile, la répression tous azimuts et la dérive sécuritaire & policière en toute impunité n’étant pas des moindres. Instrumentaliser à outrance les faits les plus banals et brandir le spectre de menaces fantasmées ne fait que monter les citoyens les uns contre les autres et diviser la société. L’école républicaine a désespérément besoin de moyens, et non de stratégies de diversion, de tensions artificielles ou d’une remise en cause perpétuelle des statuts et droits fondamentaux des usagers et personnels. La laïcité « non négociable » que promeut et défend ardemment la CGT Educ’action vise à assurer la sérénité et la cohésion de la communauté éducative, non à transformer les personnels en auxiliaires de police zélés, et encore moins à cantonner toute une population au statut de suspect – voire d’ « ennemi intérieur » – qu’il faudrait en permanence surveiller et recadrer.

Rappelons que la République garantit la liberté de culte et le même traitement à tous ses citoyens. Tout citoyen attaché aux idéaux républicains doit s’insurger contre cette volonté frénétique d’allumer un bûcher à partir des brindilles les plus microscopiques et contre ces pratiques stigmatisantes et discriminantes, qui ternissent l’image de la France à l’étranger et suscitent régulièrement les condamnations des associations de défense de droits de l’homme comme Amnesty International et Human Rights Watch. Les personnels de l’Education Nationale doivent tout particulièrement s’opposer à ces pratiques et les faire remonter aux  sections syndicales locales, qui doivent défendre vigoureusement tous les membres de la communauté éducative (personnels, élèves, parents) qui en seront victimes.

Salah Lamrani


[1] La minute de silence est, comme chacun sait, une pratique bien connue de la liturgie musulmane ; quant à la graphie « Mahomet », on ne peut que déplorer le fait que malgré la présence du prénom Mohamed dans le top 10 des prénoms les plus donnés au sein de la population française actuelle, et sa position dans le top 50 des prénoms des monuments aux morts de la guerre de 14-18, cette dénomination passéiste et méprisante datant d’une époque d’antagonisme entre la Chrétienté et l’Islam, et ressentie comme une injure par des millions de musulmans, reste usitée.

[2] Tel un Voltaire au petit pied luttant contre le fanatisme au temps de l’Inquisition, Pap Ndiaye a également sillonné les plateaux TV pour dénoncer ces « manifestations de prosélytisme religieux dans les enceintes scolaires »,  se gargarisant de grands mots, notamment BFM WC (« Ces faits ne sont pas acceptables dans l’Ecole de la république… Il est normal que l’Académie de Nice, que la rectrice de Nice, de même d’ailleurs que la Mairie de Nice réagissent fermement pour faire respecter les principes de laïcité, et c’est pourquoi j’ai signé cette déclaration commune avec le Maire de Nice… Les parents ont été convoqués… Les élèves ont été rappelés aux obligations relatives à la neutralité religieuse, et ils ont fait l’objet d’une formation, parce qu’on parle d’enfants quand même… Dans les collèges et lycées, [pour des faits similaires] il peut y avoir des sanctions [voire] des exclusions temporaires ou définitives… »). Pap Ndiaye n’a pas hésité à répandre une fausse information islamophobe, à savoir que ces enfants appartenaient tous à la confession musulmane, ce qui a été démenti par témoignage d’Eliane au micro de BFM Côte d’Azur, dont le petit-fils non musulman a participé à ces jeux enfantins : « Qu’il vérifie ses sources, parce que mon petit-fils faisait partie du groupe qui jouait et qui faisait une imitation de la prière. Il n’y avait aucune intention, aucune religion au milieu, ce n’était vraiment qu’un jeu… La stigmatisation d’enfants est vraiment lamentable… C’est pourquoi nous n’avons plus confiance dans les hommes politiques, car tout est monté en épingle pour prendre des proportions incroyables, et ça nuit à la solidarité et à la vie tous ensemble. » 

[3] Rappelons que pour être valide, la prière musulmane (surtout en congrégation) nécessite l’âge de la puberté, un horaire précis, des ablutions, des tenues vestimentaires spécifiques, l’orientation vers La Mecque, etc. ; tant de conditions qu’il est tout simplement impossible de réunir dans une cour de récréation d’école primaire durant la pause méridienne.

CGT Éduc'action Clermont-Ferrand